Santé cardiaque et santé sexuelle : un lien indissociable

La santé sexuelle et la santé cardiaque sont deux dimensions de la santé souvent perçues comme distinctes, mais elles sont étroitement liées, et les troubles dans l’une peuvent révéler des dysfonctionnements dans l’autre, aussi bien les hommes que les femmes.

Lien entre dysfonction érectile et santé cardiovasculaire

La dysfonction érectile (DE) peut être le premier signe d’une maladie cardiovasculaire sous-jacente. Plusieurs études ont démontré que la DE n’est pas uniquement un problème sexuel, mais un marqueur de risques accrus de maladies cardiaques. En effet, les petites artères du pénis, plus étroites que celles du cœur, sont souvent les premières à être affectées par l’athérosclérose. Par conséquent, les troubles de l’érection peuvent apparaître plusieurs années avant l’apparition de symptômes cardiaques visibles.

Une méta-analyse de 2005, portant sur près de 1000 hommes âgés de plus de 55 ans, a montré que les hommes souffrant de DE présentaient un risque accru de 25 % de faire un événement cardiovasculaire majeurr, y compris un infarctus du myocarde ou un AVC, dans les cinq ans suivant l’apparition des premiers symptômes de DE1. En outre, l’étude prospective multiethnique MESA a révélé que les hommes souffrant de DE avaient  avaient presque deux fois plus de risque de subir un événement cardiovasculaire majeur que ceux sans DE2. D’autres études montrent que la DE peut précéder de deux à cinq ans l’apparition d’une maladie coronarienne clinique3. Ces données renforcent l’idée que la dysfonction érectile peut être un indicateur précoce de maladies cardiovasculaires sous-jacentes.

Selon les recommandations de la conférence de consensus de Princeton IV de 20234, un homme présentant une DE, en particulier si elle est d’origine vasculaire (liée à un problème de circulation sanguine), devrait subir un dépistage cardiovasculaire. Ce dépistage inclut plusieurs étapes : un interrogatoire médical pour identifier les facteurs de risque (tabagisme, hypertension, diabète), un examen clinique pour mesurer la pression artérielle et rechercher d’éventuels signes de maladie cardiaque, ainsi que des examens biologiques (dosage du cholestérol, glycémie) et éventuellement des examens d’imagerie (électrocardiogramme, échographie cardiaque, voire une épreuve d’effort ou une imagerie des artères coronaires).

L’objectif est de déterminer si la santé cardiaque du patient est à risque, et d’intervenir si nécessaire.

La prise en charge globale : cœur et sexualité

L’identification précoce des troubles érectiles peut jouer un rôle essentiel dans la prévention des maladies cardiovasculaires. Les hommes souffrant de DE, mais sans antécédents cardiovasculaires visibles, doivent bénéficier d’une évaluation cardiovasculaire approfondie. On utilise aujourd’hui des scores de risque intégrant des paramètres comme l’âge, le sexe, le poids, les antécédents médicaux, ainsi que des examens d’imagerie pour évaluer l’état des artères coronaires. Cela permet de mieux stratifier le risque et d’orienter les décisions thérapeutiques, telles que le recours précoce à des traitements préventifs pour éviter les événements cardiovasculaires5.

Les changements de mode de vie sont souvent recommandés pour améliorer à la fois la santé sexuelle et cardiaque. Une alimentation équilibrée, l’arrêt du tabac et la pratique d’une activité physique régulière sont des stratégies qui ont prouvé leur efficacité. Une méta-analyse a révélé que l’exercice physique régulier réduisait de manière significative le risque de DE tout en améliorant la santé cardiovasculaire globale6.

Traitements des troubles sexuels et impact sur le cœur

Les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (PDE5), comme le sildénafil (Viagra®) ou le tadalafil (Cialis®), sont souvent prescrits pour traiter la dysfonction érectile. Ces médicaments augmentent le flux sanguin vers le pénis, mais des études récentes montrent qu’ils pourraient également offrir des bénéfices cardioprotecteurs. Une étude suédoise a montré que les hommes ayant un antécédent d’infarctus du myocarde et traités par inhibiteurs de la PDE5 avaient un risque réduit de 33 % de décès cardiovasculaire et un risque réduit de 40 % d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque7.

Cependant, il est essentiel de noter que l’utilisation des PDE5 inhibiteurs est contre-indiquée chez les patients prenant des nitrates, souvent prescrits pour traiter l’angine de poitrine, ainsi que chez les patients sous riociguat, un médicament prescrit contre l’hypertension artérielle pulmonaire. Leur association peut provoquer une chute dangereuse de la pression artérielle8.

Si un patient sous nitrates ou riociguat souffre de dysfonction érectile, il est important d’évaluer les possibilités alternatives : arrêt des dérivés nitrés si cela est possible, ou utilisation d’autres options thérapeutiques pour la DE.

Les critères d’arrêt des dérivés nitrés doivent être strictement décidés par un cardiologue. Si le patient est jugé stable (par exemple, après une revascularisation réussie, sans signes d’angine persistante), le cardiologue peut envisager d’arrêter les nitrates et de prescrire des PDE5. En cas d’impossibilité d’arrêter les nitrates, des alternatives thérapeutiques existent : la thérapie par injection intracaverneuse, l’utilisation de dispositifs sous vide (vacuum devices) ou encore les implants péniens9.

L’évaluation cardiovasculaire systématique

Dans la prise en charge des patients à risque cardiovasculaire, les recommandations préconisent l’utilisation d’outils d’évaluation qui combinent plusieurs paramètres : l’âge, le sexe, la tension artérielle, les antécédents médicaux (comme le diabète ou des maladies cardiaques dans la famille), et d’autres facteurs de risque comme le tabagisme. Ces scores de risque permettent d’estimer la probabilité de développer une maladie cardiaque dans les années à venir.

Pour les patients présentant un risque modéré ou élevé, des examens complémentaires peuvent être proposés, notamment le score calcique coronaire (CAC). Cet examen d’imagerie mesure la quantité de calcium dans les artères coronaires, un marqueur de l’athérosclérose, et peut révéler la présence d’une maladie coronarienne bien avant l’apparition des symptômes.

En fonction des résultats, le médecin peut ajuster les traitements ou recommander des mesures préventives plus strictes. Ces examens sont donc particulièrement utiles pour les patients qui ne présentent pas encore de symptômes mais dont les antécédents ou les facteurs de risque justifient une surveillance plus poussée.

Sexualité et risques cardiaques : comment mesurer l’effort ?

Pour les patients atteints de maladies cardiovasculaires, l’une des questions fréquentes est celle du risque lié à l’activité sexuelle.

Selon les études, pour la plupart des hommes dont la maladie cardiaque est stabilisée, l’activité sexuelle ne présente pas de danger majeur. Un moyen simple d’évaluer ce risque est la capacité physique : un homme qui peut monter deux étages sans s’essouffler ni ressentir de douleur cardiaque peut généralement avoir des rapports sexuels avec un partenaire régulier en toute sécurité10.

Cependant, l’effort cardiaque peut augmenter selon le contexte émotionnel et la nature de la relation. Monter trois étages sans essoufflement est souvent considéré comme un indicateur de tolérance pour des rapports sexuels avec un partenaire occasionnel, où l’excitation peut être plus intense.

Quant à ceux qui peuvent monter quatre étages sans symptôme, cela suggère qu’ils peuvent supporter des rapports sexuels dans des situations encore plus énergétiques, comme avec une maîtresse ou lors d’une relation extraconjugale.

Cette classification repose sur la notion que l’intensité émotionnelle, le stress et l’excitation physique augmentent la dépense énergétique et, par conséquent, la charge cardiaque11.

La santé sexuelle chez les femmes et ses liens avec la santé cardiaque

Si la majorité des études sur la dysfonction sexuelle et les maladies cardiovasculaires concernent les hommes, la santé sexuelle des femmes est aussi étroitement liée à la santé cardiaque. Les femmes souffrant de maladies cardiovasculaires rapportent souvent des troubles sexuels, tels que la diminution de la libido, des difficultés à atteindre l’orgasme et des douleurs pendant les rapports.

Certaines études ont montré que les femmes atteintes d’hypertension ou de diabète sont plus susceptibles de souffrir de troubles sexuels, ce qui souligne l’importance de la santé vasculaire dans la fonction sexuelle féminine. De plus, les traitements par inhibiteurs de la PDE5, bien que principalement utilisés chez les hommes, ont montré des résultats prometteurs dans certaines formes de dysfonction sexuelle féminine, notamment chez les femmes souffrant de troubles de l’excitation sexuelle12.

Pour les femmes, la prise en charge de la santé cardiaque peut également améliorer la fonction sexuelle. Une attention particulière doit être portée aux facteurs psychologiques, hormonaux et vasculaires qui peuvent interagir dans la santé sexuelle féminine.

Conclusion

La santé cardiaque et la santé sexuelle sont intimement liées, et des troubles dans l’une peuvent indiquer des risques dans l’autre.

Que ce soit chez l’homme ou chez la femme, une prise en charge globale et précoce est cruciale pour préserver à la fois le cœur et la sexualité.

La surveillance médicale régulière, combinée à des habitudes de vie saines, est essentielle pour maintenir une bonne santé sexuelle et cardiaque.

Si vous présentez des troubles sexuels, consultez un médecin pour discuter d’une évaluation cardiaque et envisager les options de traitement adaptées à votre situation.

Lignes directrices du consensus Princeton IV : Points clefs

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Références

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