Prise en charge des difficultés sexuelles chez les patients souffrant de troubles psychiatriques
La journée mondiale de la santé mentale (célébrée le 10 octobre), est une journée internationale de l’OMS consacrée à l’éducation et à la sensibilisation du public envers la santé mentale et contre la stigmatisation. |
Un certain nombre d’études montrent que les patients souffrant de troubles psychiatriques sont plus fréquemment atteints par des troubles sexuels que dans la population générale.
Cela est d’autant plus important que le nombre total de patients concernés par ces troubles est très certainement sous-estimé, une grande partie des patients ont en effet du mal à aborder le sujet de l’intimité avec leur médecin.
Nombreux sont les professionnels de santé, médecins généralistes, psychiatres ou psychologues qui n’abordent pas suffisamment le sujet de la sexualité avec leurs patients, ou bien qui le font de manière superficielle et expéditive1.
Pourtant, une sexualité épanouie contribue grandement au bien–être des patients en psychiatrie. Le traitement efficace de leurs troubles sexuels doit donc faire partie intégrante de la prise en charge de leur pathologie mentale.
Chez les malades souffrant de troubles psychotiques, les difficultés d’ordre sexuels sont extrêmement fréquentes, surtout chez les patients non-hospitalisés : jusqu’à 50% des femmes et 70% des hommes.
Les répercussions des pathologies psychiatriques sur la sexualité sont généralement induites par les traitements neuroleptiques (médicaments utilisés dans la prise en charge des troubles psychiatriques) et, de ce fait, sont souvent sources d’inobservance médicamenteuse. Ils peuvent donc être responsables d’échec thérapeutique et de rechutes ! C’est pour cela qu’il est primordial d’en tenir compte lors de la prise en charge des patients en psychiatrie.
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Qu’est-ce que les psychoses ?
Les psychoses sont un groupe de pathologies mentales définies par une altération du sens des réalités brève ou prolongée.
La psychose la plus connue du grand public est certainement la schizophrénie. Cette dernière a largement été abordée dans les domaines cinématographique et littéraire, souvent d’une manière exagérée et fantasmée. Elle est également la plus fréquente, on estime sa prévalence à environ 1% de la population mondiale.
La schizophrénie se manifeste généralement au début de l’âge adulte, plus précocement chez l’homme que chez la femme. Elle se caractérise par 2 sortes de symptômes :
- Les symptômes positifs : ce sont des manifestations qui s’ajoutent aux fonctions mentales normales du patient. Ces manifestations apparaissent lors de la phase aiguë de la maladie, appelée également « phase de décompensation ». Les symptômes positifs les plus fréquemment observés sont :
- Les modification de la perception : le patient perçoit des stimulations sensorielles, internes ou psychiques qui n’existent pas comme telle dans la réalité, telles que :
- Les hallucinations visuelles : le patient voit des objets ou des personnes qui n’existent pas.
- Les hallucination auditives : le patient entends des sons ou des voix qui n’existent pas. Le plus souvent ce sont des voix hostiles et menaçantes.
- Les hallucinations olfactives : le patient sent des odeurs qui ne sont pas présentes, le plus souvent désagréables. Il peut même se réveiller le matin et sentir une odeur qui lui donne l’impression certaine de s’être fait violé durant la nuit !
- Les hallucinations gustatives : le patient ressent le goût d’aliments ou de substances dans sa bouche, il peut s’agir de goûts soit agréables soit extrêmement pénibles.
- Les hallucinations tactiles : le patient à l’impression qu’un objet ou une personne le touche, le plus souvent au niveau des parties intimes (les seins, les fesses et les organes génitaux).
- Les hallucination cénesthésiques : les patient a des sensations qui proviennent de l’intérieur de son corps. Il peut par exemple avoir l’impression qu’un de ses organes est en train de disparaître ou de se transformer.
- Les modifications de la pensée : le patient exprime des idées délirantes, des sortes de convictions. Les délires peuvent être de plusieurs types, l’un des plus fréquemment observés est le délire de persécution où le patient est profondément persuadé d’être la cible d’intentions malveillantes des personnes qui l’entourent. Il existe d’autres types de délires tels que les délires mystiques, de grandeur (ou mégalomaniaques), de possession, de divulgation de la pensée, etc.
- Les modifications du discours : le discours du patient est complètement désorganisé et incohérent. Il va par exemple passer d’un sujet à l’autre d’une manière brusque et sans établir aucun lien logique entre les différents sujets (passage du coq à l’âne).
- Les modifications du comportement : le patient peut réaliser des actions n’ayant aucun objectif logique, qui paraissent étranges pour son entourage. Il peut même devenir agressif vis-à-vis de lui même ou d’autrui (auto-agressivité ou hétéro-agressivité).
- Les modification de la perception : le patient perçoit des stimulations sensorielles, internes ou psychiques qui n’existent pas comme telle dans la réalité, telles que :
- Les symptômes négatifs : ils sont plus difficilement décelables, car moins impressionnants et bruyants que les symptômes positifs. Ils sont également les plus invalidants pour les patients. Ces symptômes négatifs ou déficitaires traduisent la perte et la dégradation des fonctions mentales habituelles du patient. Ils peuvent se manifester sur le plan clinique par :
- Une alogie ou difficulté à communiquer et retrait social ;
- Une anhédonie, c’est-à-dire une perte du plaisir ;
- Une aboulie, c’est-à-dire un manque de motivation et d’énergie ;
- Une pensée et discours pauvres ;
- Un émoussement affectif et une diminution de l’expression des émotions (froideur).
À côté des symptômes positifs et négatifs, on assiste à un véritable déclin des capacités cognitives du patient (déclin cognitif). Autrement dit, son cerveau perd ses capacités de traitement des informations, d’analyse et de mémorisation. Cela se traduit par des difficultés de concentration, des pertes de mémoire (surtout à court terme), une altération de la prise de décisions, des troubles de l’apprentissage, une diminution de l’hygiène corporelle…
Il faut savoir que les symptômes de la schizophrénie sont extrêmement variables d’un patient à l’autre en ce qui concerne la fréquence, l’intensité, le type, l’association entre différentes manifestations. Cependant la majorité des patients atteints de schizophrénie, et de toute autre maladie psychiatrique, a une vie relationnelle et affective instable. L’association des différents symptômes a des répercussions considérables sur les interactions sociales des patients, perturbant de manière significative leur sexualité.
Généralement, les médecins sous-estiment la place de la sexualité dans la vie de leurs patients souffrant de troubles psychotiques compte tenu de la symptomatologie qu’ils présentent.
En plus de cela, certaines déclarations des patients sont souvent mises en doute et considérées comme potentiellement faisant partie du symptôme délirant, lié à leur maladie. On assiste effectivement parfois à des hallucinations ou des délires ayant une connotation sexuelle, ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas prendre leur propos en considération.
La phase aiguë (ou de décompensation) des maladies psychotiques peut parfois être caractérisée par une désinhibition sexuelle, ce qui peut entrainer des comportements inadaptés d’exhibition par exemple ou bien de prise de risques avec une multiplication des relations sexuelles et des partenaires sans protection. La maladie entraine une vulnérabilité psychique, physique et sociale qui peut amener la personne à se mettre en danger et ainsi être victime d’abus sexuels notamment.
La question du sexuel est omniprésente dans l’expression clinique des pathologies psychotiques. On note que les patients atteints de psychose s’expriment généralement de manière assez libre lorsque le médecin les interroge sur leur sexualité. 2.
Par ailleurs, il n’est pas rare que des patients hospitalisés en service de psychiatrie aient des rapports sexuels entre eux, même si cela n’est pas autorisé dans la plupart des services hospitaliers spécialisés. Cela peut être mal perçu par les soignants, car la question du consentement et du discernement des deux partenaires se pose aux vues de leur vulnérabilité. En effet, la question de la place du désir de l’autre dans la psychose se pose, la capacité à prendre en compte soi et l’autre étant altérée.
Les neuroleptiques provoquent des troubles sexuels
Les neuroleptiques, médicaments appartenant à la famille des psychotropes et utilisés dans le traitement des psychoses, sont souvent à l’origine de troubles sexuels. Ils agissent par l’intermédiaire de 2 mécanismes principaux :
- Augmentation de la production de prolactine (hormone intervenant notamment dans la production de lait maternel, l’immunité, la croissance et le comportement) : cela a pour effet une baisse du désir sexuel (libido) et de dysfonctions érectiles chez l’homme 3, une baisse du désir et une aménorrhée (l’absence de menstruations) chez la femme4.
- Une augmentation pondérale : les neuroleptique induisent une prise de poids assez importante chez les patients. Cela va souvent entraîner une baisse de l’estime de soi et un repli social et affectif5.
Ces symptômes sont tout deux à l’origine de troubles sexuels chez les patients psychotiques. Pourtant, ces derniers ne rapportent généralement de façon spontanée que la prise de poids. Mais lorsqu’on les interroge de manière spécifique sur leur sexualité, ils en parlent assez librement et souligne que c’est un élément important dans leur équilibre.
Les dysfonctions sexuelles provoquées par les traitements neuroleptiques et souvent source d’inobservance médicamenteuse. Autrement dit, les patients psychotiques arrêtent de prendre leur traitement dans l’espoir d’avoir une meilleure vie sexuelle. Cela va évidemment avoir de lourdes conséquences sur l’évolution de la maladie (aggravation, rechutes). Malheureusement, ce phénomène est extrêmement fréquent. On estime que 50% des patients psychotiques arrêtent de prendre leur traitement après 1 an, le chiffre passe à 70% après 2 ans. L’une des principales raisons qui les poussent à agir de la sorte est très probablement l’importante baisse de la qualité de leur vie sexuelle.
Il est aussi important de mentionner que la dysfonction érectile est généralement perçue par l’homme comme une diminution de sa virilité. Il n’est donc pas rare qu’une dépression vienne s’installer et s’ajouter aux autres symptômes déjà très invalidants.
Ce qu’il faut retenir
- Les troubles sexuels sont très fréquents chez les patients souffrant de troubles psychiatriques.
- Les neuroleptiques utilisés dans le traitement des maladies mentales provoquent des dysfonctions sexuelles et une baisse du désir.
- Les dysfonctions sexuelles provoquées par les neuroleptiques poussent les patients psychotiques à interrompre leur traitement.
- Il est important d’accorder une place prépondérante à la prise en charge psychosociale des patients en psychiatrie (intégration en milieu professionnel, une place au sein de la famille, la pratique d’activités diverses…). Il ne faut pas tout miser sur le traitement médicamenteux !
- Il est important d’interroger les patients sur leur sexualité, de les écouter et de leur apporter des solutions concrètes. Car c’est un aspect auquel ils accordent beaucoup d’importance et le succès du traitement y est fortement lié.
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Références
- Christophe Dallon, Georges Abraham, Rev Med Suisse 2009; volume 5. 635-637, https://www.revmed.ch/RMS/2009/RMS-195/Psychose-et-sexualite[↩]
- P. B. Schneider, G. Abraham, et D. Panayotopoulos, « QUELQUES ASPECTS DE LA VIE SEXUELLE DES PSYCHOTIQUES (ENQUETE SUR 84 CAS HOSPITALISES) », L’ Evolution psychiatrique 29 (mars 1964): 45‑73[↩]
- Martin-Du Pan R., « Neuroleptiques et dysfonctions sexuelles chez l’homme : aspects neuroendocriniens », Archives Suisses de Neurologie ; Neurol Pschiatr 1978;122:285-313.[↩]
- L. J. Miller, « Sexuality, Reproduction, and Family Planning in Women with Schizophrenia », Schizophrenia Bulletin 23, no 4 (1997): 623‑35, https://doi.org/10.1093/schbul/23.4.623[↩]
- R Martin-Du Pan et P Baumann, « Dysfonctions sexuelles induites par les antidépresseurs et les antipsychotiques et leurs traitements », Revue Médicale Suisse, 2008, 5[↩]
Super de rappeler que les personnes qui souffrent de schizophrénie et qui se plaignent de dysfonctionnement sexuel ne sont pas fous !
Ils/elles ont raison de se plaindre à leur psychiatre qui doit trouver le bon traitement à la bonne dose leur permettant d’avoir une vie sexuelle épanouie et une bonne prise en charge de leur pathologie.
Bien noté mais en pratique mis à part l’écoute de leurs problèmes sexuels que peut on faire pour améliorer cette sexualité si défaillante dans ce type de pathologie psychiatrique
Pour ma part j’ai bien peur que la seule solution c’est la diminution voir l’arrêt des neuroleptiques ce qui bien entendu et on le comprends tous n’est pas une solution pérenne !!
Je crains que sur le plan pratique , en fait , en tant que soignants , nous soyons fort démunis !!!!
Bonjour René,
Ecouter et surtout montrer que les difficultés des patients sont entendues est déjà un premier pas.
Ensuite, beaucoup de difficultés peuvent être améliorées grâce à de l’éducation sexuelle
Enfin, il est possible de tenter de changer de molécules en cas de iatrogénie trop importante, ou sinon, de proposer des aides médicamenteuses (en cas par exemple de trouble érectile ou de sécheresse vaginale).
Bonjour Arnaud
Merci pour votre réponse
Selon mon expérience je note que les IPDE sont de peu d’efficacité en cas de prolactine élevée induite par la prise de neuroleptiques , le seul traitement qui n’induit pas d’effets secondaires néfastes sur la sexualité me paraît être le traitement par sels d’or
Bien Cordialementv