Le clitoris, organe oublié des études de médecine ?
Article invité
Cet article est un article invité écrit par le Dr Marie CHEVALLEY, médecin généraliste.
Après des études à Nancy puis à Strasbourg, Marie CHEVALLEY soutient sa thèse sur la connaissance du clitoris par les médecins en septembre 2021.
Elle est diplômée d’un Diplôme Universitaire en Gynécologie Médicale et se forme actuellement à la Sexologie (Diplôme Inter-Universitaire).
Au cours de son travail de thèse, elle a créé le compte Instagram @Clitodyssee à visée d’information, de sensibilisation et de vulgarisation sur l’anatomie du clitoris et la sexualité.
Elle milite pour une meilleure formation des professionnels sur la santé sexuelle.
Le clitoris est un organe essentiel de l’anatomie sexuelle féminine, recouvrant de ce fait des dimensions scientifiques et médicales. Néanmoins, parler du clitoris est plus complexe qu’il n’y paraît. A travers sa fonction de plaisir et son rôle dans la sexualité, il implique également des dimensions sociétales, politiques et culturelles fortes1.
Son histoire scientifique n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est marquée successivement par le désintérêt, l’acquisition de connaissances, le déni puis le regain d’intérêt2.
Les sources médicales à son sujet sont peu nombreuses et parfois contradictoires. Sa taille et les parties qui le composent ne sont pas définies avec précisions et sa description diffèrent selon les auteur∙es.
Bref, il n’est pas facile de s’y retrouver !
Dans le même temps, depuis quelques années, le clitoris est devenu un des symboles du combat féministe, et la connaissance de son anatomie par toutes et tous une revendication. Il n’est pas rare de voir des clitoris représentés sur les murs des rues ou sur des affiches afin de sensibiliser l’opinion publique.
De nombreuses sources non médicales s’emparent du sujet et expliquent l’anatomie du clitoris et son fonctionnement, en particulier sur les réseaux sociaux. On peut citer par exemple le compte Instagram @GangduClito de Julia Pietri.
Une étude sur les connaissances des médecins sur l’anatomie et la physiopathologie du clitoris
C’est dans ce contexte que le Dr Marie CHEVALLEY a voulu étudier les connaissances des médecins sur l’anatomie et la physiopathologie du clitoris, ainsi que les sources de ces connaissances et les freins éventuels.
Un questionnaire en ligne a été diffusé de mai à août 2020 à 1168 médecins. Les questions portaient notamment sur des données sociologiques (sexe de naissance, âge, villes de formation, etc.), sur les parties anatomiques du clitoris et du pénis (afin de comparer les réponses entre les deux organes), sur la taille du clitoris, sur la formation médicale ou encore sur la pratique médicale des répondants. Chacune des réponses a été analysée par sexe de naissance (féminin vs masculin), par spécialité (gynécologie, médecine générale et autres spécialités), par tranche d’âges (moins de 30 ans, 30 à 39 ans et plus de 40 ans) et par niveau de formation (internes vs post-internes). Ce travail était encadré par Valérie JEANROY, médecin généraliste en Alsace et Odile FILLOD, chercheuse indépendante ayant élaboré le modèle stylisé du clitoris imprimable en 3D3.
Pour qu’il soit pédagogique et constructif, le questionnaire était accompagné du paragraphe suivant, résumant les principales informations anatomiques sur le clitoris et sur son fonctionnement.
Rappels anatomiques
Le clitoris est composé de quatre parties principales :
- Le gland, seule partie visible du clitoris. Il est recouvert par le capuchon.
- Les piliers, formés de deux corps caverneux. Ce sont des tissus érectiles qui se gonflent de sang lors de l’excitation sexuelle.
- Le corps qui est représenté par la réunion des deux piliers.
- Les bulbes, formés de deux corps spongieux qui sont également des tissus érectiles.
Les études scientifiques manquent pour établir sa taille avec précisions. Néanmoins après une revue de la littérature à son sujet nous pouvons l’estimer à une longueur d’environ 10 cm pour l’ensemble gland, corps et piliers.
Le clitoris est donc un organe érectile. Il joue un rôle majeur dans le plaisir et l’orgasme puisque ses deux fonctions connues à ce jour sont sa fonction érogène (c’est-à-dire susceptible de provoquer une excitation sexuelle) et sa fonction orgasmogène (susceptible de provoquer un orgasme).
Une connaissance parcellaire de l’anatomie du clitoris
Le travail du Dr Marie CHEVALLEY a permis de montrer que la connaissance anatomique du clitoris par les médecins est partielle.
Si presque la moitié (46,7%) des répondants connaissent la taille approximative du clitoris (environ 10 cm), 44,7% la sous-estiment largement. Concernant le nombre de bonnes ou mauvaises réponses à cette question, il n’y a pas de différence significative selon les spécialités, le sexe de naissance et le niveau. En revanche, les plus jeunes médecins sont plus nombreux à connaître la taille du clitoris par rapport aux plus âgés.
Les éléments constituant l’anatomie du clitoris, sont peu connus, en tous cas beaucoup moins que les éléments constituant l’anatomie de son homologue le pénis (y compris chez les gynécologues). Lorsque l’on analyse les résultats par sous-population, on constate que cette connaissance des éléments anatomiques du clitoris est meilleure chez les gynécologues et les répondants de sexe masculin.
Une connaissance correcte de la physiologie et des atteintes du clitoris
La physiologie du clitoris et ses éventuelles atteintes sont en revanche bien connues. En ce qui concerne les atteintes clitoridiennes celles-ci ont déjà été rencontrées par 34,2% des répondants et près de 9 gynécologues sur 10. Ces atteintes sont peu étudiées, rares et généralement décrites dans de petites études (rapports de cas) :
- Les mutilations sexuelles féminines constituent l’atteinte la plus connue de l’organe bulbo-clitoridien. Elles demeurent un fléau mondial. L’étude montre que 21% des médecins ont déjà rencontré cette atteinte, cette proportion s’élevant à 59% pour les gynécologues.
- Les pathologies tumorales du clitoris, qui peuvent être bénignes ou malignes
- Le priapisme, c’est-à-dire une érection prolongée des corps caverneux en dehors d’une excitation sexuelle
- L’adhérence clitoridienne ou phimosis, qui est une adhésion anormale du prépuce au gland du clitoris empêchant la rétraction complète du prépuce
- Le syndrome d’hyperexcitabilité génitale persistante
- Des pathologies infectieuses et inflammatoires
- Des éléments anatomiques du clitoris peuvent également être atteints lors d’interventions chirurgicales ou gynécologiques, ou encore lors des accouchements par voie basse (déchirures obstétricales).
- Enfin, certaines pathologies peuvent entrainer une hypertrophie clitoridienne qui est alors le signe d’une hyperandrogénie. Ces pathologies peuvent être acquises ou congénitales. Pour ces dernières, il convient de recherche une hyperplasie congénitale des surrénales avec le plus souvent un déficit en 21-hydroxylase.
Cette liste n’est pas exhaustive et il n’existe pas à ce jour de référentiel sur les atteintes et les pathologies du clitoris.
Des connaissances acquises via des sources non médicales
Cette étude montre également que les sources utilisées pour s’informer sur le clitoris sont essentiellement non médicales, notamment via les sites web grand public. Il est intéressant de souligner que plus de la moitié des médecins ayant répondu au questionnaire n’ont jamais cherché d’informations sur le sujet. La raison évoquée en premier lieu : l’absence de besoin de rechercher ces informations.
Ainsi, l’information sur l’anatomie du clitoris est peu recherchée, et lorsqu’elle l’est, les sources utilisées sont majoritairement non médicales.
Un manque de formation durant les études médicales
La principale raison du manque de connaissances sur le clitoris est l’absence de formation sur le sujet durant les études médicales.
- Plus de 8 médecins sur 10 n’ont jamais eu de formation médicale sur l’anatomie et la physiopathologie du clitoris.
- Les médecins généralistes non formés sont significativement plus nombreux que les gynécologues non formés (86% vs 72% ; p < 0.05), même si la proportion des gynécologues non formée reste importante dans la mesure où cet organe concerne directement cette spécialité.
A noter que chez les Sages-femmes, en première ligne dans la santé sexuelle des femmes, la connaissance du clitoris est également partielle, comme le montre le mémoire de DU de gynécologie réalisé par l’auteur. Le manque de formation était là aussi un frein identifié par les sages-femmes, puisque 85,2% d’entre elles n’ont jamais eu de formation à ce sujet.
Enfin, l’étude du Dr CHEVALLEY montre que l’acquisition de connaissances durant le questionnaire peut avoir un impact réel et bénéfique sur la pratique des médecins. En effet, 70% des participants ayant acquis des connaissances en remplissant le questionnaire estiment que cela pourra entrainer des conséquences sur leur pratique. Ces conséquences seront notamment une plus grande vigilance lors de l’examen clinique du clitoris et une plus grande aisance pour répondre à une plainte sexuelle féminine.
Un sujet tabou s’inscrivant dans une histoire sexiste des études médicales
Cette thèse, la première en France sur ce sujet, révèle donc que la connaissance du clitoris par les médecins est lacunaire.
L’absence de formation médicale sur l’anatomie du clitoris est frappante, s’inscrivant probablement dans une histoire sexiste des études médicales. De plus, la sexualité est essentiellement enseignée par le prisme de la reproduction, occultant ainsi le clitoris.
D’autres hypothèses peuvent être évoquées, telles que des sources médicales pauvres sur le sujet, l’absence d’intérêt médical ressenti, un enseignement rare sur la santé sexuelle ou encore le tabou autour du plaisir et de la sexualité.
Néanmoins le nombre important de réponses à ce questionnaire montre que l’anatomie du clitoris est un sujet qui intéresse bel et bien les médecins.
Les très nombreux commentaires libres l’illustrent parfaitement :
- « sujet très intéressant » ;
- « sujet plus que nécessaire à l’évolution des connaissances sur l’anatomie féminine » ;
- « je n’avais jamais eu accès à un schéma aussi détaillé que celui du questionnaire, ce qui me fait vraiment remettre en question mes connaissances » ;
- « il est grand temps de mettre la lumière sur ce sujet ! » ;
- « vos questions m’ont permis de prendre conscience des méconnaissances scientifiques au sujet de cet organe dans nos formations médicales, (…) j’ai appris des choses en remplissant ce questionnaire » ;
- « l’anatomie du clitoris semble abordée plus superficiellement que celle du pénis (…), il serait intéressant de pousser cette formation » ;
- « Merci de nous mettre face à nos lacunes et de nous faire progresser » ;
- « intéressant de traiter d’un sujet « tabou » dans notre société actuelle, même dans le milieu médical (très peu évoqué, même en gynéco) »
Comment mieux former les médecins à l’anatomie et à la physiopathologie de cet organe ?
A l’issue de ce constat, plusieurs leviers d’action peuvent être proposés pour améliorer la connaissance du clitoris par les médecins et plus largement par le grand public :
- Développer la recherche scientifique sur le sujet, notamment afin d’identifier précisément et de façon consensuelle ses différents éléments anatomiques et sa taille exacte ;
- Mettre à jour les sources à destination des professionnels de santé, en particulier les livres d’anatomie médicale encore trop souvent incomplets et parfois erronés en ce qui concerne l’anatomie du clitoris ;
- Elaborer un référentiel des atteintes pouvant toucher le clitoris ;
- Promouvoir la formation universitaire et la formation continue en santé sexuelle ;
- Utiliser des outils pédagogiques et innovants au cours de la formation des médecins et de l’information délivrée aux patient∙es, comme le kit constitué de modèle 3D de l’anatomie sexuelle féminine et masculine4;
- Délivrer une éducation à la sexualité complète et appliquer la loi relative à sa dispensation5 ;
- Enfin, proposer une consultation dédiée à la prévention en santé sexuelle auprès de la population générale.
En savoir plus
La Thèse complète6 est disponible en libre accès via ce lien : https://www.sudoc.fr/257431667
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Docteur en médecine, autrice d’une thèse sur l’état des lieux des connaissances sur le clitoris
Je trouve que ce kit permet de mieux se rendre compte de la localisation du clitoris, le fait de le représenter au sein de la vulve est quand même plus parlant que le clitoris 3D seul. C’est aussi très intéressant d’avoir représenté les deux versions (au repos et à l’excitation), c’est un super outil pédagogique et c’est ce qui manquait !
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Références
- Koechlin, Aurore. 2020. « Delphine Gardey, Politique du clitoris: Paris, Textuel, 2019, 160 p. » Clio, no 52 (décembre). https://amzn.to/3nSFi7c.[↩]
- Chaperon S. « Le trône des
plaisirs et des voluptés » : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle. Cah D’histoire Rev D’histoire Crit. 1 janv 2012;(118):41‑60[↩] - Clitoris [Internet]. Carrefour numérique – fablab. 2018. Disponible sur: http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/wiki/doku.php?id=projets:clitoris[↩]
- Abdulcadir J, Dewaele R, Firmenich N, Remuinan J, Petignat P, Botsikas D, et al. In Vivo Imaging–Based 3-Dimensional Pelvic Prototype Models to Improve Education Regarding Sexual Anatomy and Physiology. J Sex Med. juill 2020;S1743609520306664.[↩]
- Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. 2001-588 juill 4, 2001.[↩]
- Chevalley, Marie, Odile Fillod, Valérie Jeanroy, and Philippe Deruelle. 2021. État des lieux des connaissances de l’anatomie et de la physiopathologie du clitoris chez les médecins en France: étude quantitative transversale auprès de 1168 médecins : thèse présentée pour le diplôme de docteur en médecine, diplôme d’État, mention médecine générale. Thèse d’exercice : Médecine générale : Strasbourg : 2021. https://www.sudoc.fr/257431667[↩]
Je suis tellement contente que la parole se libère de ce point de vue là ! Mais effectivement j’ai découvert cela tard (vers 27 ans) et en me renseignant moi-même ! Cela devrait être des informations apprisent à l’école
Bonjour à toutes et tous, merci à Marie Chevalley pour ce travail précieux,
je suis à disposition pour tout échange concernant mon étude scientifique réalisée au Chu de Rouen sur la fonction analgésique du clitoris dans le cadre de la grossesse et de l’accouchement. Les résultats sont significatifs et il faudrait arrêter de cantonner l’organe clitoris dans le domaine du plaisir sexuel.
Bien sûr d’autres études sont nécessaires pour valider les premiers résultats, mais l’utilisation du clitoris à des fins analgésiques, notamment pour les dysménorrhées ou toutes autres douleurs féminines (endométriose notamment) devrait être conseillée sans y ajouter le tabou du sexuel.
Egalement, considérer le clitoris comme un organe essentiel de l’appareil reproductif féminin, capable de réduire les douleurs des femmes, me semble un argument majeur à avancer dans la lutte contre l’excision.
Merci pour votre contribution sur la fonction analgésique du clitoris. Nous serions ravis de publier un article invité de votre part sur ce sujet. Pour soumettre votre article, veuillez suivre les instructions sur notre site : https://sexoblogue.fr/article-invite-mode-emploi