Pourquoi les médecins doivent-ils parler de sexualité ?

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Intervention du Dr Marie CHEVRET lors des 5èmes Assises de Sexologie à Montpellier, avec son aimable autorisation.

Parler de sexualité : une nouvelle obligation pour le médecin ?

Même si on ne demandera pas a un médecin généraliste d’être forcément un spécialiste en sexologie (sauf si il le désire), tout médecin de famille (mais cela est valable également pour les psychiatres, les cardiologues, les urologues, les endocrinologues, les gynécologues -liste non exhaustive-), devrait avoir en tête un certain nombre de choses qu’il n’apprend hélas pas à la Faculté de Médecine :

  • La sexualité est un élément important du bien-être et les dysfonctions sexuelles seront à l’origine d’un mal-être qui pourra avoir un retentissement psychique, physique et social sur l’individu et son partenaire.
  • Il existe une médiatisation de la sexualité qui va tendre à vouloir normaliser les comportements sexuels (et forcément donner un sentiment de marginalisation à tous ceux qui ne se retrouveront pas dans les statistiques). L’émergence des réseaux sociaux et des forums sont une source d’angoisse très importante pour ceux qui y recherchent des informations !
  • Les troubles de la sexualité quelles soient féminines ou masculines sont bien plus fréquentes que ce que l’on peut croire et lorsqu’un patient en parle spontanément à son médecin c’est déjà que la pathologie a un retentissement dramatique sur sa vie de couple, voire sa vie tout court…
  • Les dysfonctions érectiles sont des signes de gravité pour des maladies présentes comme les pathologies cardio-vasculaires ou le diabète, ou même parfois des signes révélateurs de pathologie cardio-vasculaire !
  • Il existe des médicaments contre certaines dysfonction sexuelles : les inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 (Viagra® qui sera génériqué en 2014 à 1€ le comprimé, Cialis®, Levitra®) pour la dysfonction sexuelle et Priligy® (dapoxétine) dans le traitement de l’éjaculation prématurée.

Le médecin doit parler directement aux patients

  • L’étude de MONTEIRO en 1987, montrait déjà, sur une grande cohorte de dépressifs traités, que la plupart des patients ne parlent de leurs difficultés sexuelles que lorsque leur psychiatre le leur demande directement et de façon spécifique.
  • Dans l’étude de Giuliano et Leriche, sur les 3312 patients diabétiques et /ou hypertendus qui ne recevaient aucun traitement pour leur dysfonction érectile, 69% souhaitaient que leur médecin aborde le sujet 1
  • Dans l’enquête allemande de Metz, en 1990, 85 % des patients auraient souhaité que leur médecin aborde le sujet (alors que seulement 25 % l’ont d’eux- mêmes sans y avoir été encouragés par leur médecin). 2

Par quoi commencer ?

Il serait déjà sage d’être au fait des différents troubles sexuels que l’on peut rencontrer de manière fréquente :

  • Pour les femmes il s’agit des dyspareunies (entre 16% et 25% des femmes selon les études), du manque de désir (30%), de l’anorgasmie [25-40%] et des troubles de la lubrification (20%).
  • Pour les hommes il s’agit de la dysfonction érectile (20% des hommes de 50 à 60 ans), la baisse du désir, l’éjaculation prématurée (anciennement éjaculation précoce), la Maladie de Lapeyronie (1% des hommes)
  • Une petite parenthèse concernant les troubles de l’image de soi et les troubles sexuels qui en découlent chez une grande majorité des femmes qui ont eu une chirurgie du sein ou gynécologique : Il existe des problèmes sexuels sévères et à long terme chez 50% des femmes post cancer du sein 3, et 90% de difficultés sexuelles post-diagnostic de cancer du sein 4). Mais c’est pareil chez les hommes qui ont un cancer urologique avec notamment une verbalisation difficile (légitimité d’une demande de traitement d’un trouble sexuel par rapport à la gravité du cancer, crainte de discréditer le chirurgien et la chirurgie réalisée etc…).

Pour un médecin qui n’a pas l’habitude d’aborder le sujet avec ses patients, un bon début serait déjà de s’intéresser à la dysfonction érectile (anciennement nommée « impuissance » mais ça ne se fait plus, dysfonction érectile c’est plus distingué… encore qu’il n’est pas impossible que cela change encore de nom, « dysfonction » ayant encore un coté « péjoratif » et « stigmatisant »…) :

1) La découverte d’une DE est une excellente opportunité pour effectuer un bilan de santé

  • La dysfonction érectile (DE) est souvent le premier signe d’atteintes cardiovasculaires, d’un diabète, d’une dépression ou d’un adénome prostatique. 5
  • Plus de 30 % des patients ayant une DE ignorent leur problème de santé sous-jacent et les prendre en charge s’inscrit dans une véritable démarche de médecine préventive.6

2) La DE est un symptôme très fréquent :

  • Sa prévalence moyenne se situe entre 12.9% à 28.1%7
  • Elle augmente régulièrement avec l’âge :
    • de 1 à 9 % de 18 à 39 ans,
    • de 2 à 30 % de 40 à 59 ans,
    • de 20 à 40% de 60 à 69 ans,
    • de 50 à 75% au delà de 70 ans.

3) La DE diminue la qualité de vie

L’insuffisance érectile est à l’origine d’une importante souffrance chez l’individu qui en est atteint ainsi que chez sa partenaire, Ces hommes montrent une diminution significative de leurs scores de santé générale, sociale et mentale ainsi qu’une baisse de l’estime de soi et de leur bien être émotionnel alors que leurs scores de dépression augmentent significativement.8 9

Et après ?

Une fois que l’on se sera lancé, il sera aisé d’inclure dans l’interrogatoire systématique la question de la sexualité dans toute consultation de médecine générale.

  • Dire que la sexualité relève d’un dialogue possible
  • Avoir une écoute active « délicate », exhaustive et analytique
  • Une attitude et des gestes qui soulignent l’écoute et invitent à poursuivre
  • Laisser réfléchir
  • Ne jamais attendre de réponse immédiate
  • Réaffirmer le cabinet comme un lieu de confidentialité
  • Dépister les troubles du désir et de l’image de soi chez les femmes
  • Dépister les problèmes de panne masculine
  • Combattre les méfaits médiatiques de la sexodictature sur les personnalités fragiles
  • Adresser éventuellement au sexologue les cas les plus compliqués

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Références

  1. Giuliano, F. A., A. Leriche, E. O. Jaudinot. Prevalence of erectile dysfunction among 7689 patients with diabetes or hypertension, or both. Urology, 2004, 64(6): 1196-201.[]
  2. Metz M, Seifert M. Men’s expectations of physicians in sexual health concerns. J Sex Marital Ther . 1990, 16(2): 79-88.[]
  3. Robinson, 1998[]
  4. Anderson, 1999[]
  5. Speel, T. G., H. van Langen and E. J. Meuleman (2003). « The risk of coronary heart disease in men with erectile dysfunction. » Eur Urol 44(3): 366-70; discussion 370-1.[]
  6. Guirao Sanchez L et al. Atencion Primaria, 2002 ; 30 (5) : 290-296 Kim SW et al. Potential predictors of asymptomatic ischemic heart disease in patients with vasculogenic erectile dysfunction. » Urology. 2001, 58(3): 441-5.[]
  7. Laumann EO, Nicolossi A, Glasser DB, et al. Int J of Impot Res. 2005;17:39-57.[]
  8. Litwin MS., et al. Health-related quality of life in men with erectile dysfunction. J. Gen. Intern. Med. 1998 ; 13 : 159-166. Althof, SE. Quality of life and erectile dysfunction. Urology, 2002, 59(6): 803-10.[]
  9. Seidman, SN. Exploring the relationship between depression and erectile dysfunction in aging men. J Clin Psychiatry , 2002, 63 Suppl 5: 5-12; discussion 23-5.[]